Auteur: Mokhtar Amami

(Extrait de l’article : Amami & Rowe (2000). Les Opportunités de recherche en commerce électronique sur Internet. Congrès AIM, Montpellier. Novembre 2000.)

La lenteur des grandes entreprises à se lancer dans une stratégie Internet reflète une certaine sagesse. Au-delà d’un effet de communication et d’annonce destiné à réguler le cours des marchés boursiers, les grandes entreprises se sont vites rendu compte qu’une stratégie Internet n’était viable vis-à-vis du client que si l’organisation interne était capable de suivre l’offre. L’enjeu de la coordination interne et de la capacité à transformer l’organisation pour maintenir ou développer une relation de service de qualité avec le client et le fidéliser est donc considérable. Théoriquement la baisse des coûts d’information entraîne une baisse de coûts de coordination c’est à dire une baisse de coûts de communication et de contrôle. Malone (1997) a fait l’observation suivante : lorsque les coûts de coordination sont élevés, les décisions se prennent localement et inversement lorsque les coûts de coordination baissent, la tendance est à la centralisation. Lorsque les coûts baissent encore plus, il y a tendance à une prise de décision à la fois décentralisée et connectée.

Avec le commerce électronique sur Internet la baisse du coût des télécommunications doit donc avoir des effets sur la participation au processus décisionnel et sur la qualité des décisions des entreprises. Plus généralement le commerce électronique sur Internet se traduit par des effets sur la conception et la transformation de l’organisation interne, mais aussi sur la taille des unités et les systèmes d’incitation dans le partage de la connaissance et de l’information créée. Finalement c’est la question de la communauté de référence et d’une alternative à la quête de la culture d’entreprise qui émerge avec les communautés (professionnelles) virtuelles.

Impact du CE sur la participation et la qualité des décisions

La baisse des coûts de communication de l’information et la diffusion des mobiles fait augmenter le nombre de participants à la prise de décision et rend moins constant le niveau hiérarchique qui prend effectivement la décision. Un domaine de recherche prometteur consiste à vérifier si le type de support de communication influence le nombre de participants et la qualité de la décision. Il s’agit d’étudier comment le nombre de participants peut varier selon le type de décision et d’autres facteurs tels que la confiance et la motivation. En particulier, il faut étudier l’impact d’Internet sur les coûts de coordination dans des organisations ayant des unités dispersées, interdépendantes et spécialisées. En outre il faut étudier comment une structure de prise de décision connectée et décentralisée utilisant le support Internet favorise la diffusion et le partage de l’information et des connaissances.

Impact de la technologie Internet sur la taille des unités des décisions

La taille des unités de décision implique le sens suivant : des unités où le contrôle des actifs est concentré entre les mains de ceux qui possèdent l’information et les connaissances, des unités qui possèdent une autonomie de gestion mais qui sont contrôlées par des grandes unités où les actifs sont entre les mains du public, et des unités qui possèdent une autonomie de gestion et où les actifs sont contrôlés par un partenariat entrepreneur/entrepreneur-capital-risques (capital venture). La technologie Internet et le développement du commerce électronique semble favoriser les tailles réduites (Brynjolfsson et al., 1994) L’émergence des nouvelles entreprises Internet donne à penser que la tendance des tailles est vers la baisse. Il existe actuellement Une entreprise des entreprises relativement de taille réduite (e.g., Schwab) mais dont la capitalisation boursière peut dépasser plusieurs celles des entreprises qui sont établies depuis longtemps. Partant de l’hypothèse que la technologie Internet et le commerce électronique ‘libèrent’ le consommateur, les nouvelles entreprises développent les affaires non en bâtissant des murs autour du consommateur mais plutôt en offrant le meilleur service. Or, la prestation d’un bon service nécessite une interaction avec le consommateur et des agents qui comprennent et répondent à ses besoins. Il est difficile d’établir un contrat qui compensera les efforts et le temps d’un agent pour livrer un excellent service. L’usage du commerce électronique (CE) combiné aux structures de taille petite (animées par des agents motivés et de confiance) représente un atout pour être concurrentiel et survivre. Étant donné la difficulté de déterminer les contributions de ces agents, une unité de grande taille ne peut pas livrer les prestations attendues. Enfin, la réduction des tailles

des unités peut être rendue possible dû à l’existence des experts électroniques. L’exemple le plus souvent cité est celui des agents intelligents qui sont capables d’éliminer les courtiers traditionnels et donc permettre à des unités de taille modeste de donner un excellent service. De ce qui précède, il semble que l’impact de la technologie Internet et du CE sur la taille des unités de décision représente un domaine de recherche intéressant.

Impact de la technologie Internet et du CE sur l’appropriation des actifs

Peut-on séparer contrôle et appropriation? Voilà une vieille question qui refait surface et devient de plus en plus pertinente à fur et à mesure que la technologie de l’information se développe. La théorie du principal-agent soutient que lorsqu’une organisation (principal) embauche un employé (agent), il est recommandé d’offrir des récompenses sous forme de bénéfices marginaux afin de le motiver à produire un rendement optimum. Étant donné que l’entreprise (principal) est incapable de mesurer l’effort de l’employé (agent), il est conseiller de lier une partie des récompenses à la performance (exemple : commission sur les ventes totales). Le développement de la technologie de l’information a rendu la tâche encore plus ardue. En effet, dans une économie numérisée les connaissances sont devenues la ressource fondamentale alors que les facteurs traditionnels comme le capital et le travail sont devenues des ressources secondaires. La ressource principale la plus productive sont des programmes et des compétences qui sont partiellement gelés dans le design des machines et largement stockés dans les cerveaux des humains. Dans une économie informationnelle, les connaissances jouent un rôle fondamental. Dans ces conditions comment évaluer les récompenses et mesurer les performances. Tant qu’une action menée par l’agent au profit du principal est mesurable, elle peut être contractée. Or les actions des agents dans une économie informationnelle sont difficiles à mesurer et donc difficiles à contracter. La théorie des contrats incomplets (Hart & Moore, 1990) peut aider à résoudre le dilemme de contrat principal-agent. Hart et Moore suggèrent que lorsqu’un agent devient indispensable au développement d’un actif, le principal doit le posséder. On peut extrapoler en soutenant que l’agent le plus informé peut exploiter ses connaissances seulement quand il prend le contrôle total de l’unité de production. Les réseaux électroniques et en particulier Internet permettent, de façon non discriminatoire, à l’agent et au principal d’accéder à l’information. Cependant, un agent peut devenir plus informé par sa capacité supérieure aux autres (agent ou principal) à extraire une connaissance de la masse d’information. Cette capacité d’attention, de détection et de traitement est fondamentale pour déterminer la contribution d’un agent dans une économie informationnelle. Par conséquent un domaine de recherche prometteur serait d’explorer la théorie des contrats incomplets (Hart & Moore, 1990) et donc la question de l’appropriation des actifs et de contrôle dans une économie numérisée.

Design organisationnel et transformation des organisations

L’avènement de la technologie Internet et du CE a induit les managers à penser que l’organisation est une arme pour gagner un avantage concurrentiel et non un mal nécessaire. Il est admis aujourd’hui que les organisations gagnantes sont celles qui font participer leurs employés au processus de création, de prise de décision, et aux profits réalisés. Pour faciliter le travail et les innovations de ces employés, ils doivent être organisés. Par conséquent, le design organisationnel doit être considéré comme une variable stratégique importante difficile à imiter. La propagation de l’usage du CE dans la gestion des affaires va favoriser un design basé sur la communication

latérale, la gestion par projets et un système de récompenses équilibrant les contributions et les rétributions. Une opportunité de recherche consiste à étudier l’impact de la technologie Internet et du CE sur le design des organisations et leur performance. Les études d’impact peuvent donc, évaluer les effets de la technologie Internet: 1) sur la coordination latérale, la transformation des processus de décisions, le système de récompenses et le style de leadership; et 2) sur la performance telle que mesurée par des indicateurs financiers, opérationnels et autres.

La technologie Internet transforme les marchés, les organisations et les relations intra et inter-organisationnelles. Les technologies émergentes (e.g., Intranet, Extranet, RFID, ERP) vont transformer les fonctions de l’entreprise telles que le développement du produit, approvisionnement, contrôle des inventaires, marketing et ventes. Ces transformations auront un impact sur les relations entre les individus, les groupes et les unités d’affaires et par conséquent sur le leadership et la culture de l’entreprise. Les organisations qui adoptent ces technologies tendent à réduire leurs hiérarchies et éliminer les murs entre les fonctions managériales. Par conséquent les entreprises tendent à adopter une structure plus horizontale où les employés et les équipes jouissent d’une plus grande autonomie et d’une marge plus grande dans la prise de décision.

L’impact de ces technologies sur les organisations est immense. Elles tendent à modifier les stratégies, les structures et la performance des organisations. Le commerce électronique sur Internet va forcer les organisations à reconsidérer les mécanismes de coordination (communication et contrôle) c’est à dire leur design organisationnel. La littérature est volumineuse mettant de l’avant de nouveaux concepts et paradigmes relatifs à l’organisation du travail dans les nouvelles entreprises : le paradigme de la remise à plat ou re-engineering, le concept de l’entreprise en réseau et la notion des entreprises inter-réseaux.

En empruntant des notions à la théorie de la complexité, certains théoriciens ont soutenu que les entreprises doivent « émuler » les systèmes biologiques comme celui du réseau des neurones et éliminer les hiérarchies rigides. Les employés peuvent ainsi jouir d’une certaine autonomie qui à la fois augmente leur productivité mais surtout le sens des responsabilités. Le défi majeur est de restructurer les processus et les relations de manière à faciliter le flux d’information vers ceux qui y ont besoin. Les questions de recherche suivantes semblent pertinentes pour les chercheurs qui s’intéressent à étudier les impacts de la technologie Internet sur la transformation des organisations. Quelles formes ces organisations prennent-elles ? Quelles sont les frontières de ces nouvelles organisations ? Comment gérer à la fois l’indépendance et l’interdépendance ? Comment identifier et développer les compétences uniques ? Comment à la fois gérer les innovations et respecter les propriétés intellectuelles ?

Internet et communauté virtuelle

La technologie Internet a attiré une nouvelle classe d’entrepreneurs et d’entreprises qui ont transformé le commerce. En effet, des nouveaux entrepreneurs avec une imagination qui sait prévoir les besoins des consommateurs de demain ont pu bâtir et développé des nouvelles entreprises avec un nouveau modèle d’affaires et une nouvelle approche de marketing. Résultat, des nouvelles entreprises comme eBay, Amazon.com, etc., ont émergé et pourrait transformer le monde du commerce qu’on a toujours connu. L’environnement Internet peut augmenter le pouvoir de négociation des consommateurs qui sont capables d’identifier les produits répondant à des besoins spécifiques, comparer la qualité, le prix et d’autres caractéristiques du produit. L’émergence de la «communauté virtuelle» peut augmenter le pouvoir du consommateur. Une

communauté virtuelle est un groupe d’individus éparpillés à travers le globe ayant des intérêts et des besoins similaires et qui sont liés par le réseau Internet. Pourquoi l’émergence de la communauté virtuelle est-elle un phénomène important ? L’individu est attiré par l’opportunité d’appartenir à un groupe d’individus avec qui il veut partager sa vision du monde, son modèle de consommation, ses désirs et ses craintes. Ces nouveaux groupes représentent à la fois un nouveau phénomène social et un nouveau pouvoir économique. Parce que les membres de la communauté sont informés sur la qualité, le prix et d’autres caractéristiques, les nouvelles communautés virtuelles sont capables d’influencer les décisions des entreprises en matière des offres possibles et des prix (Cucchi, 1999).

Références

Brynjolfsson, E., Malone, T., Gurbaxani, V. & Kambil, A. (1994), « Does IT Lead to Smaller Firms? », Management Science, Vol. 40, No12, pp. 1628-1644.
Hart, O. and Moore, J. (1990), “ Property Rights and the Nature of the Firm,” Journal of Political Economy, 98, 4, pp.1119-1158.
Malone, T.W. (1997), « Is empowerment Just a Fad? Control, Decision Making and IT », Sloan Management Review, Winter, pp.23-35.

Cucchi, A. (1999). “Les communautés cognitives : l’information et la décision au coeur des relations partenariales.” Systèmes d’Information et Management- SIM. Vol.4, No 3.